Une des grandes affaires humaines est de se comprendre et d’être compris. Elle en devient si grande, grosse et impérative que cette entreprise l’emporte sur toute autre raison, dès lors que la colère, la haine et la vengeance importent plus que d’être compris.
Pour se comprendre et être compris, l’humaine bête demande souvent qu’un autre se taise. La chose se comprend pour qui veut, propre à sa belle nature humaine, jouer le jeu de la discussion. Il faut demander le silence pour se faire entendre. « Taisons-nous pour qu’on l’écoute! » Et surtout donner la chance à tous de comprendre.
Mais une balle n’a jamais débouché les oreilles de personne.
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Une des plus belles histoires de Noël remonte à deux ans. Nous sommes en 2013 et Tombouctou vient d’être libéré.
Des Mosquées avaient été profanées. La question revenait encore. Le produit de l’art humain doit-il disparaître au nom de la loi divine? Si l’on efface notre mémoire, à quoi bon chercher à connaître?
Moins connue comme histoire, celle de la communauté des conservateurs de bibliothèque, des philologues et des bibliographes qui retenait son souffle depuis que Tombouctou était tombée.
http://fs9.formsite.com/westafricanresearchassociation/TIMBUKTU
Pour ramasser le tout en une histoire efficace, je traduis un reportage du NY Times (3 février 2013), de Scott Sayare.
« Quand le danger était à ses portes, Ali Imam Ben Essayouti savait exactement ce qu’il avait à faire. Les délicats manuscrits, sans reliure, du 14e siècle préservés dans la Mosquée qu’il dirige avaient déjà survécu dans la légendaire cité de Tombouctou. Il n’allait pas laisser les derniers envahisseurs, nationalistes touaregs et jihadistes venus de toute la région, les détruire sur-le-champ.
Il les a enveloppés dans des sacs, empilés avec précaution dans des caisses de bois, et déplacés dans une cache connue de lui seul.
[…]
« Dans ces manuscrits, vous pouvez trouver mention de chaque forme de connaissance, dit Essayouti. Ils traitent de tous les sujets possibles et imaginables. »
Irina Bakova [alors directrice générale de l’Unesco] explique : « ce sont les annales de l’Âge d’or de l’Empire malien ». « C’est un miracle que ces choses aient survécu aussi longtemps », ajoute Essayouti.
On doit leur sauvegarde à l’habitude qu’ont les familles de Tombouctou de cacher les choses de valeur en les enterrant dans le désert dès que le danger se fait pressentir.
Konaté Alpha avait en sa possession une collection d’environ 3000 manuscrits depuis des générations, et lorsque les Islamistes sont entrés dans la ville, il a annoncé que la famille devait se réunir.
« Nous devons trouver un moyen de mettre ces manuscrits en lieu sûr », a-t-il dit à son père et à ses frères.
Il connaissait par cœur les recoins où les habitants de la ville avaient mis à l’abri leurs précieux manuscrits. Dix ans auparavant, en élargissant le lotissement familial, il avait trouvé une cache pleine de manuscrits.
« Les propriétaires de la maison les avaient si bien cachés qu’ils les ont oubliés », a-t-il ajouté en haussant les épaules.
Il a pris toute la collection de la famille et s’est assuré de la mettre bien à l’abri. Il n’a pas voulu en préciser l’endroit.
Lorsque les jihadistes sont arrivés à l’Institut Ahmed Baba, construit quelques années auparavant [2009], au moyen d’un financement de la France et de l’Afrique du Sud dans l’effort de conserver les manuscrits, les responsables de l’Institut leur ont dit qu’il s’agissait d’une institution musulmane qui méritait leur protection.
« L’un d’entre eux a donné son numéro de téléphone portable au gardien en lui disant ‘si quelqu’un vient t’embêter, appelle à ce numéro et je me déplacerai’ ».
Mais les responsables de la bibliothèque ont commencé à craindre que les Islamistes apprennent un jour que leur institution était financée par les États-Unis. Ainsi, en août [2012], ils ont décidé de déménager leur collection entière […].
M. Cissé, directeur intérimaire de la bibliothèque explique : « nous les avons transportés en petite quantité afin de ne pas éveiller les soupçons ». Pour en assurer la sauvegarde, ils ont été envoyés à Mopti avec Bamako pour destination finale.
[Voir dans le Washington Post du 26 mai 2013 comment une partie des manuscrits est passé à dos d’âne à travers les portes de la ville.]
La suite de l’histoire montre que leurs craintes avaient lieu d’être. Dans le chaos des derniers jours d’occupation par les Jihadistes, l’état des choses avait changé. Un groupe de militants sont entrés dans la bibliothèque et se sont mis à brûler tout ce qu’ils pouvaient trouver. Par chance, ils n’ont pu mettre la main que sur une petite portion de la collection [5%]. »
Ces personnes ont risqué leur vie pour conserver ces textes. Leur nom devrait passer le test de l’histoire. Le texte n’a pas de prix. Et pourtant combien de pièces brûlées depuis que les humains ont pris l’habitude de noter ce qui importe?
Pour continuer, voir :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/02/07/les-manuscrits-sauves-de-tombouctou_1828672_3246.html
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Histoire de philosophe (avant d’aller se coucher)
Il y a une histoire qui court dans les mémoires embrouillées de la philosophie antique. Au moins deux ou trois sages seraient morts en refusant de parler.
L’un d’entre eux se nomme Zénon d’Élée, celui des paradoxes. Confronté à un tyran lui demandant qui conspirait contre lui, il aurait approché de son oreille, pour ne le dire qu’à lui, et en aurait profité pour la prendre en pleine bouche, la mordant jusqu’à s’en emparer. Belle fin pour un sophiste!
D’autres ont préféré avaler leur langue plutôt que de parler. Ou casser une dose de cyanure. D’autres encore ont été réduits au silence, d’une manière ou d’une autre. Ces derniers sont, certainement, les plus nombreux mais pas les moins braves.
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