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Quand le politique se mêle de science

Depuis quelques mois, je me pose quelques questions: les travaux scientifiques sont-ils d’intérêt public dès lors qu’ils satisfont aux critères du monde scientifique?

Quand un travail est fondé sur des preuves claires et solides, n’est -il pas nécessaire qu’il soit partagé?

Si vous dites non à ces deux questions, vous pouvez au moins vous féliciter d’être à la mode du gouvernement Harper, où certains sont convaincus de pouvoir répondre: “non, pas forcément dans tous les cas”.

Si vous n’avez pas sauté à une autre page, et si vous aussi vous posez la question: “est-il possible d’empêcher un savant de répondre aux questions d’un journaliste au Canada?” , eh bien, prenez un beigne et un café et continuez à lire.

Depuis quelques mois, des échos colériques proviennent d’une classe de fonctionnaires qui ont plutôt l’habitude de garder la tête froide. La communauté scientifique canadienne et plus précisément les chercheurs employés par le Gouvernement du Canada tentent d’attirer l’attention du public canadien et de la communauté scientifique internationale. Ils en ont long à dire sur l’attitude tranchée du gouvernement conservateur à l’égard de la gestion de la science financée par Ottawa.

L’heure est à la coupe

Aujourd’hui 10 juillet, du personnel scientifique et des citoyens se sont réunis sur la colline parlementaire pour souligner la “mort de la preuve scientifique” en organisant des funérailles symboliques. Ils ont trois soucis majeurs de préoccupation. Premièrement, la baisse du financement de la recherche; ensuite, le train de mesures apportées dans le dernier budget, dont la fermeture de programmes environnementaux (études sur les grands lacs et sur la couche d’ozone) et enfin la censure imposée aux communications publiques des savants qui travaillent pour le gouvernement.

Leur porte-parole résume la situation de cette manière: concernant la preuve, quand elle ne va pas dans le sens que vous voulez, et “si vous ne voulez pas que le message se rende au destinataire, vous n’avez qu’à tuer le messager”.

La chose est particulièrement probante quand on se souvient d’un appel lancé au début de cette année. Relayé dans un éditorial de Nature, l’embarras de nos scientifiques paraît bien fondé, lorsque les communications publiques des savants doivent au préalable être autorisées par le service des communications. La hiérarchie, qui censure dans certains cas, consiste à placer au-dessus des laboratoires et des chercheurs une instance leur permettant ou non de rendre publics leurs résultats.

En substance, les journalistes scientifiques n’ont plus le même accès aux chercheurs et cela depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir. Les demandes d’entretien doivent être dirigées au bureau des relations publiques qui exige de voir les questions au préalable et détient l’autorité nécessaire pour empêcher que l’entretien se fasse. La chose est particulièrement absurde concernant des recherches qui ont pourtant fait l’objet du contrôle scientifique nécessaire (évaluation à l’aveugle et publication dans les périodiques spécialisés dont… Nature!). Des mots sévères couronnent le tout qui laissent entrevoir le degré d’acrimonie que cela peut susciter: “Policy directives and e-mails obtained from the government through freedom of information reveal a confused and Byzantine approach to the press, prioritizing message control and showing little understanding of the importance of the free flow of scientific knowledge.”

Une telle attitude est susceptible d’en surprendre plusieurs, ce qui ne manque pas d’arriver lorsque ces pratiques sont décrites aux savants des autres pays lors des conférences scientifiques.

Sans vouloir faire d’amalgame, on peut remarquer une tendance lourde du gouvernement à fermer des programmes entiers qui ne vont pas dans le sens de ses priorités (les programmes d’aide à la démocratisation ont d’ailleurs été frappés de plein fouet dans le dernier budget). Harper, comme on l’a dit plusieurs fois au sujet de sa présence au pouvoir, veut faire table-rase de certaines idées pour donner une nouvelle couleur politique au Canada. Nous avons une démonstration très claire de la main du politique dans l’administration de domaines réputés de libre-expression.

Cela peut prendre un tour très vilain, comme le montre la récente chicane médiatique autour de la chanson L’Attente de Manu Militari. Au sujet de cette chanson controversée, le Ministre du patrimoine James Moore gazouillait publiquement:  “L’entente de subvention de Musicaction veut qu’aucun projet ne soit obscène, indécent, pornographique, haineux, diffamatoire ou, d’une quelconque autre façon, illégal. Il me semble que la chanson et la vidéo ne répondent pas à au moins trois de ces conditions.” Pour un gouvernement qui veut si bien contrôler le message qu’il adresse au public, on comprend mal pourquoi un Ministre commente une chanson particulière, si ce n’est pour mettre en garde quiconque voudrait ternir l’image du Canada à l’exemple de Manu Militari: gare à vos subventions! (Que cette chanson ternisse ou non l’image du Canada est une autre question. On remarquera aussi que la présence canadienne en Afghanistan n’a jamais fait l’objet d’une élection.)

Sans faire l’amalgame, la question reste: peut-on restreindre la publication de données scientifiques ou de matériel artistique sur la base de motifs politiques? Même si un domaine paraît inutile ou de moindre importance à un quelconque parti politique, il est évident que les critères politiques, scientifiques et artistiques sont incompatibles, et que nos sociétés sont en grande partie fondées sur le respect de la libre-expression quand il est question de politique, de science et d’art.

La libre-expression suppose en rien la disparition des critères propres à chaque domaine d’expression; la liste de ces critères peut être longue, mais certains, très élémentaires tombent sous le sens (ne pas consciemment diffuser des erreurs pour la science). Quelques différences subsistent entre ces trois domaines quant aux critères à retenir.

1) la science ne devrait pas dépendre de ce que veut une majorité ou une minorité, mais des critères d’exactitude qui sont les siens.

2) L’art, quand à lui, est libre… d’avoir un public ou non, et s’il y a un public, il n’appartient à personne de priver ce public de ce qu’il veut “consommer”; c’est sur ce principe que le gouvernement fédéral se fonde pour financer les publications vendues dans les supermarchés tout en coupant dans les fonds destinés à l’ONF. On voit à quel point c’est un terrain glissant, qui devrait recommander la prudence au sujet des critères utilisés pour distribuer les subventions.

3) La politique, quant à elle, respecte les volontés du peuple souverain. On voit aisément que cela ne devrait pas l’autoriser à toucher à la science ni aux arts, qui ne connaissent de démocratie que le difficile consensus entre les pairs et la popularité de leur production auprès d’un public intéressé.

Sur ces sujets malheureusement d’intérêt trop restreint pour émouvoir le public électoral, la fierté royale qui émane d’Ottawa foule au pied la tradition libérale (anglaise notamment), fondée sur la critique ouverte en chambre et dans les médias. La réputation du Canada en est ternie, mais cela n’est rien en comparaison des effets pervers que de telles politiques ont sur le progrès de ce pays. Quand les conservateurs jouent aux réformateurs, il est peut-être pertinent de se demander si le monde ne marche pas sur la tête.

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