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  • De l’application en philosophie. Jusqu’où le philosophe peut-il aller dans les débats d’éthique publique?

    Par Benoît Castelnérac, professeur

    Ce texte reprend les grandes lignes d’une conférence d’Alain Renaut (Université Paris IV), invité dans le cadre du doctorat en philosophie pratique de l’Université de Sherbrooke.

    Le Professeur Renaut est parti du constat suivant pour construire son propos :

    La philosophie pratique contemporaine est aujourd’hui convoquée, par ses propres transformations et par les demandes que lui adresse la société, à s’engager bien au-delà du terrain qui était le sien quand elle s’attachait à fonder des principes purs ou formels du bien ou du juste.

    Prendre en compte les exigences du réel constitue alors pour le philosophe un défi tentant, qui ouvre sa discipline à des espaces sociaux d’intervention et à des publics de plus en plus vastes, notamment dans les débats d’éthique publique.

    Ce défi est cependant aussi fort difficile à relever : quelles transformations dans la démarche philosophique elle-même appelle cette perspective d’une philosophie pratique appliquée? S’agit-il, à partir de la fondation de principes universels, de « déduire » a priori les fins concrètes que nous devons nous proposer dans tel ou tel contexte particulier?

    Ou faut-il désormais, pour le philosophe, partir des contextes d’action, examiner les positions qui s’y affrontent et chercher à les éclairer en remontant de là aux choix de valeurs qui s’y expriment?

    Dans l’une et l’autre démarche, il faudra en tout cas se demander où se situent les limites d’une application relevant encore de la philosophie.

    Cette interrogation a mené à la présentation de trois paramètres essentiels touchant la possibilité d’une philosophie pratique.

    Tout d’abord, selon Alain Renaut, malgré l’héritage du tournant linguistique et la montée sensible d’une réflexion en termes communautaristes, la question du sujet est paradigmatique et elle reste fondamentale et prioritaire pour l’application de la philosophie.

    Autre élément, qui relève d’un constat historique et politique, il faut observer que les questions de philosophie pratique se font à l’intérieur d’une certaine limite qui n’est pas appelée à changer à court ou à moyen terme. En effet, en philosophie politique, le principe fondamental qu’est la démocratie garde les questions de philosophie pratique à l’intérieur de ses limites. La théorie de la démocratie établie depuis le XVIIe s. représente la clôture théorique du traitement des questions politiques; cette clôture conditionne aussi l’actualité et l’avenir de la philosophie pratique appliquée aux questions contemporaines.

    Enfin, les questions de l’éthique appliquée et de la philosophie politique se rapprochent toujours plus les unes des autres. Quand, en philosophie politique, l’on se tourne vers l’application, on débouche presque toujours des questionnements d’éthique appliquée. Et l’inverse est aussi vrai, les questions d’éthique appliquée ont règle générale une dimension politique.

    Tout en résumant ses propres travaux et ceux de certains étudiants qu’il dirige au doctorat, Alain Renaut a présenté quelques éléments de méthodologie à prendre en compte dans une démarche comme celle de la philosophie appliquée. L’objectif d’une médiation à propos de différends éthiques et politiques consiste à dépasser les affrontements sans pourtant accéder à un consensus qui soit «mou». Comme la clôture théorique le fait apercevoir, les adversaires ne peuvent se distinguer sur la base des grands principes évoqués (comme la démocratie, par exemple), ce qui les mène à s’engager dans des affrontements infinis ou des débats stériles. La «révolution copernicienne» consisterait ici à délaisser les clivages sur les principes, afin de partir des contextes d’action pour atteindre le niveau des choix de valeur.

    Cette démarche est inspirée de Kant, et propose par ailleurs d’envisager l’histoire de la philosophie d’une autre manière que comme la menée fondatrice des principes à suivre dans les sciences et l’action. Au moyen de la distinction kantienne entre la réflexion ex principis (à partir des principes) et la réflexion ex datis (à partir de la situation et des données disponibles à son sujet), Alain Renaut préconise une démarche moins déterminante et plus réfléchissante comme positionnement pour la philosophie pratique appliquée aux questions contemporaines.

    La présentation des exemples concrets de méthodologie a laissé entrevoir tous les défis d’une application de la philosophie pratique. Que ce soit dans les travaux autour de l’autonomisation des universités en France, à propos des questions d’économie et de justice sociale dans la société, ou encore dans la réflexion sur le libéralisme politique et la violence de masse dans le cas des pays en voie de transition vers la démocratie, la possibilité d’une médiation passe par le recours à des discours multiples, au sein desquels les références à d’autres faits et d’autres disciplines sont appelées à se multiplier.

    Dans ce cadre, des disciplines médiatrices apparaissent comme des éléments «fournisseurs d’objectivité». Il nomme à ce titre l’histoire, l’économie politique, la connaissance de la société. Cela soulève le problème de l’expertise, dont semble cruellement manquer le philosophe devant les enjeux qui dépassent son domaine propre d’application; et pourtant, la possibilité de se renseigner et d’allier l’étude d’une discipline appliquée à celle de la philosophie laisse apercevoir l’intérêt de combiner les approches pour nourrir un véritable jugement réfléchissant.

    Références

    De Alain Renaut : « Qu’est-ce qu’une politique juste? Essai de philosophie politique appliquée» www.erudit.org/revue/ps/2003/v22/n3/008855ar.pdf

    De Daniel Tanguay sur Alain Renaut et la philosophie appliquée www.mondecommun.com/uploads/PDF/Tanguay.pdf

    Sur le tournant dans les sciences humaines et l’histoire en particulier, voir le document PDF de Johann Petitjean à l’adresse : eco.ens-lyon.fr/sociales/histoire_linguistique.pdf

     

    Sur le libéralisme en philosophie politique, voyez, sur le blogue du Collège de philosophie : http://collegedephilosophie.blogspot.com/2008/04/quel-est-le-vrai-libralisme.html

     

     

  • Philosopher à l’air libre, ou exercices de philosophie pratique

    — Dites-moi, ce blogue, c’est quoi?

    Une manière particulière de faire de la philosophie, en cherchant à l’appliquer aux questions qui animent notre société, dans un format simple et convivial, sans être simpliste ni racoleur.

    Notre idée est que la pratique de la philosophie ne saurait rester assignée à résidence dans les départements de philosophie, scindée de l’activité solitaire ou commune de réflexion aux enjeux qui animent la société. Philosopher à l’air libre, c’est vouloir être séduit par l’idée que la philosophie est chez elle partout où la pensée s’exprime de manière critique et argumentée. Et comme il arrive parfois de ne trouver de philosophie nulle part ailleurs que dans les bibliothèques et la tête de ceux qui s’y enfouissent, c’est aussi un défi lancé aux philosophes. Sans leçons ni pédanterie, voici donc des exercices de philosophie pratique.

    — C’est nouveau ce projet?

    L’idée n’est évidemment pas nouvelle, et il existe plusieurs autres blogues de la sorte. Hélas, la présence naturelle de la philosophie dans la société n’est pas une idée acquise. Il n’est peut être pas entièrement vain d’ajouter notre humble collaboration à cette vaste entreprise.

    Il reste d’actualité que la philosophie a un rôle social à jouer. Historiquement, la philosophie a trouvé son origine dans une société aux prises avec des questions brûlantes et complexes, dans une discussion riche entre les différentes pratiques intellectuelles (arts et lettres, politique, sciences pures… et appliquées, comme l’économie, la rhétorique, le droit et la médecine). Plus de deux mille ans plus tard, la spécialisation a fait que la pratique professionnelle de la « pensée sur la pensée » s’est développée de manière majoritaire dans les départements de philosophie et les études de doctorat (justement nommées PhD). Cette situation a des pours et des contres, et nous n’aurons pas la prétention de régler le débat avec esclandre. Mais il n’est pas vrai que la philosophie universitaire a oublié ses propres origines et qu’elle s’est divorcée du tourbillon des idées que génèrent les questionnements politiques, technologiques, éthiques, scientifiques de notre société. C’est en tous cas le devoir que nous assignons à ce blogue : faire l’exercice de montrer comment la boucle de la pensée a été bouclée et peut encore être bouclée, dans un aller retour fécond entre la pensée aux prises avec les enjeux de société et la réflexion soutenue.

    — Et votre philosophie pratique, qu’est-ce que c’est?

    Impossible de le dire dans cet avant-propos, mais disons que nous voyons la philosophie comme une sorte d’antichambre, ou de vase communiquant. Au moyen de la documentation et de la réflexion, il est possible de retracer la présence des questionnements philosophiques hors des murs de la pratique explicite de la philosophie. Il y a de la philosophie de manière plus ou moins explicite dans la culture, les autres sciences et les différents champs d’application de la connaissance en général. Il appartient aux philosophes de veiller à ce que ces liens soient entretenus.

    Les sciences et les différentes pratiques humaines communiquent ensemble sous l’angle des problèmes et des questionnements qu’elles soulèvent et des questions qu’elles apportent. Elles ne disent pas toujours la même chose, mais elles se posent souvent des questions similaires et qui ont parfois des origines communes. La philosophie peut être le lieu où mettre en commun ces questionnements et les réponses possibles.

    — Ce blogue, c’est qui?

    Le contexte est plus particulièrement le doctorat de philosophie pratique de l’Université de Sherbrooke. Conférenciers, étudiants et professeurs, tous les acteurs impliqués dans ce parcours en particulier ont en commun la tâche de réfléchir aux applications de la philosophie dans le monde contemporain. Loin de vouloir dénigrer la pratique scolaire et érudite de la philosophie, nous y voyons l’occasion de faire de la philosophie au sens où cette science a marqué l’histoire de l’humanité : la philosophie à l’air libre, c’est celle qui éclaire et interroge la manière dont nous pensons, au jour le jour mais de manière rigoureuse, sans exclure d’office aucune des activités humaines où la pensée s’exprime.

    Nous présenterons ici les résultats des discussions et des travaux dans le cadre du doctorat de philosophie pratique de l’Université de Sherbrooke. Nous invitons aussi tous les autres membres du département de philosophie et d’éthique appliquée à contribuer sur une base volontaire. Étudiants de tous niveaux, professeurs réguliers ou chargés de cours de l’UdeS, ces pages vous appartiennent pour montrer votre manière de philosopher à l’air libre.

    Et si je ne suis pas d’accord ou si j’ai des commentaires?

    Il va de soi que les contributeurs associés à ce blogue ont l’entière responsabilité des contenus qu’ils publient. Il y a de la place pour tout le monde dans la blogosphère, et nous vous encourageons à nous répondre, dans nos pages ou ailleurs (en nous citant, s’il-vous-plaît).