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  • « Philosophy and other disciplines », de Sven Ove Hansson | Compte-rendu de lecture

    « Philosophy and other disciplines », de Sven Ove Hansson | Compte-rendu de lecture

    compte rendu de lecture

    par Anthony Voisard, Université de Sherbrooke

    Ce compte rendu de lecture vise à dresser un portrait de l’article Philosophy and other disciplines (2008) écrit par le philosophe Suédois Sven Ove Hansson. Il s’agit dans ce texte d’expliciter la relation qu’entretient, ou que devrait entretenir, la philosophie avec les autres disciplines et de traiter de son apport, non seulement pour le développement de son champ d’expertise, mais aussi pour une variété de disciplines la côtoyant de près ou de loin.

    Sans formuler de problématique précise, l’auteur de cet article cherche à examiner le chantier de l’interdisciplinarité en philosophie, ce qui me paraît éclairant dans le contexte de philosophie pratique qui est le nôtre. Il soulève certaines thématiques de recherche que je regrouperai ainsi pour l’exercice de cette lecture : la place de la philosophie et des autres domaines du savoir; les frontières disciplinaires de la philosophie; le rôle de la philosophie dans les entreprises de coopérations interdisciplinaires. Quelques conclusions générales pourront être tirées quant à l’intérêt de la philosophie pour la recherche universitaire et, dans une plus large mesure, pour la vie en société.

    La place de la philosophie et des autres domaines du savoir

    Le terme “science” a longtemps fait référence à une recherche de connaissances systématiques sur les choses du monde, ou plus exactement, à une discipline identifiant les lois et les principes expliquant les phénomènes naturels. À ses débuts, l’entreprise scientifique était associée à l’investigation philosophique. Je pense par exemple à la représentation métaphysique du monde telle que conçue dans les grands systèmes philosophiques, de Platon à Kant, en passant par Aristote, Thomas d’Aquin et René Descartes.

    À partir du 19e siècle, la science s’est graduellement limitée aux domaines du savoir relevant des sciences naturelles, en y ajoutant de nos jours les disciplines des sciences sociales et humaines, ainsi que d’autres disciplines comme celles étudiant le comportement humain. En d’autres langues, comme l’allemand, une classification plus inclusive est d’usage pour désigner le domaine du savoir (wissenschaften), ce qui est moins le cas pour la langue anglaise excluant les humanities de la science. La notion de “science” semble en effet être un construit socioculturel; elle ne se réduit pas à quelques principes épistémologiques, mais est également, et peut-être surtout, formée par une variété de contingences historiques, culturelles et institutionnelles, ajouterai-je.

    La question de la relation entre philosophie et science est donc sujette à une variété d’interprétations pouvant être déclinées en au moins trois postures distinctes selon Hansson : la philosophie comme protoscience, elle est alors considérée comme un moment préliminaire à la discussion scientifique; la philosophie comme discipline scientifique en elle-même, cela est soutenu notamment dans le sillage de Curt John Ducasse (1941); la philosophie comme discipline scientifique en partie seulement. Selon cette dernière interprétation, il y aurait une ligne à tracer entre une philosophie spéculative, ou non scientifique, et une philosophie scientifique.

    Dans le sillage de cette division, la philosophie (scientifique) s’intéresserait à construire une théorie épistémologique en prenant appui sur une méthode d’analyse des résultats scientifiques adaptée à l’état actuel des connaissances. Cette posture philosophique ne viserait pas à découvrir des vérités universelles comme le fait la philosophie spéculative, elle chercherait plutôt à élaborer une connaissance fiable à partir d’hypothèses scientifiques assujetties à un critère de réfutabilité. La philosophie, tout comme les autres disciplines qui sont parties prenantes de la communauté des savoirs, doit tenir compte des avancées de la connaissance en raison de l’interdépendance disciplinaire inhérente à la science telle que nous la faisons aujourd’hui.

    “Philosophers have philosophized successfully on natural or social phenomena only when they have made use of the systematic knowledge about these phenomena obtained in other disciplines. The philosophy of time and space was revolutionnized by relativity theory, the philosophy of sense perception by psychology and physiology, and so on.” (Hansson, 2008 p. 475)

    Et comme ajoute Hansson “Being a member of this community of disciplines is a matter of both giving and taking.” (2008, p. 475) Nous pouvons nous attendre à ce que la philosophie porte une attention particulière aux contributions d’autres disciplines (écologie, biologie, physique, mathématique, anthropologie, sociologie, etc.), comme ces autres disciplines devraient s’intéresser à l’apport des philosophes aux problèmes donnés par-delà les seules démarcations disciplinaires.

    Les frontières disciplinaires de la philosophie

    Il est sans doute raisonnable d’affirmer que ce qui délimite le champ de la philosophie est à la fois une question de matière et de méthode.

    En effet, la philosophie se subdivise en différentes branches, comme par exemple : la métaphysique, l’esthétique, l’éthique, la logique, l’épistémologie, etc. De la même manière, d’autres disciplines, telle la physique, peuvent se subdiviser en une variété de champs de spécialisation : l’optique, la mécanique, la physique subatomique, etc. D’un autre côté, la philosophie peut également se définir par ses méthodes particulières : l’analyse formelle ou non formelle de la validité d’arguments, la clarification des concepts, l’accompagnement dialogique et la précision d’idées.

    Malgré ces deux types de délimitation, il demeure toutefois difficile de tracer les frontières départageant le vaste domaine de la philosophie des autres disciplines desquelles elle se nourrit et vice-versa. N’en déplaise à certains philosophes contemplatifs préférant ignorer les développements empiriques réalisés dans d’autres disciplines, ces dernières contribuent à fournir à la philosophie de nouvelles perspectives et de nouveaux problèmes à résoudre. De la même façon, les changements sociétaux tendent à provoquer des modifications pour l’objet philosophique et sa méthode d’analyse.

    “It is easy to give examples of developments in the previous century that had a deep influence on philosophy: the emergence of democracy, the Holocaust, nuclear weapons, computers, environmental pollution, neurobiology, biotechnology, and so on.” (Hansson, 2008 p. 478)

    Ces transformations dans le paysage philosophique lui assure de conserver sa pertinence, et sa crédibilité sans doute, au sein de la communauté des savoirs disciplinaires qui elle aussi s’adapte en prenant connaissance des nouveaux défis qui émergent de nos sociétés.

    La philosophie dans les entreprises de coopérations interdisciplinaires

    Dans une démarche de coopération entre la philosophie et d’autres disciplines, deux approches principales semblent se dégager : la philosophie de disciplines et la philosophie avec des disciplines.

    La première approche serait la façon la plus courante de collaborer avec d’autres disciplines en philosophie. Nous n’avons qu’à penser aux nombreuses philosophies de disciplines particulières qu’un étudiant peut rencontrer tout au long de son cursus académique : philosophie de la biologie, philosophie de l’écologie, philosophie de la physique, philosophie du droit, philosophie de la littérature, philosophie de l’économie. Cette façon de faire de la philosophie consiste en une analyse des théories de la biologie, de l’économie, de l’écologie, etc. à partir des méthodes de la philosophie dans le but de contribuer à l’avancement de ces différentes disciplines qui sont ici les objets d’études du philosophe.

    La seconde approche consiste en une opération de co-construction entre la philosophie avec d’autres disciplines. Selon l’exemple de Hansson en philosophie de l’économie :

    “Philosophers who are active in this interdisciplinary area conduct philosophy with economists. They are participants in, not (mere) observers of, the progress of economic theory. Interestingly enough, they do not typically call themselves “philosophers of economics.” The phrase “philosophy of” does not adequately reflect their deep involvement in economic research.” (Hansson, 2008 p. 479)

    Certes exigeante, cette opération de recherche nécessite soit une maîtrise complète des différentes disciplines impliquées, soit un effort conjoint de parties prenantes à la co-construction disciplinaires ou un amalgame de ces deux approches. Lorsqu’il est question de faire de la philosophie avec d’autres disciplines, les délimitations disciplinaires sont sans doute moins importantes que la résolution de problèmes d’intérêt commun. Cette ouverture au-delà et entre les disciplines se situe dans une perspective de transdisciplinarité qui peut être une caractéristique de la philosophie pratique : une interpénétration de la philosophie avec d’autres disciplines. Nous pourrions par exemple penser à la construction de ponts entre la philosophie, les sciences de l’environnement et la gestion humaine du climat afin d’articuler une éthique contribuant au développement d’outils d’adaptation aux changements climatiques. À ce jour, ce problème demeure négligé par la communauté philosophique en raison notamment de sa complexité et de son caractère hautement interdisciplinaire (Gardiner, 2010), et ce, malgré son importance pour nos sociétés et les écosystèmes scientifiques plus généralement.

    Un survol de la relation de la philosophie et d’autres disciplines

    Cette lecture de l’article Philosophy and other disciplines de Sven Ove Hansson nous a permis de survoler quelques thématiques de recherches en lien avec la relation de la philosophie et d’autres disciplines. D’abord, il était question d’examiner la place de la philosophie au sein de la science. Nous avons vu notamment, trois interprétations du rapport entre science et philosophie : la philosophie comme protoscience; la philosophie comme science; la philosophie comme science en certaines parties (scientifique/spéculative). Dans un deuxième temps, nous avons éclairé les délimitations en mouvement de la philosophie à partir des méthodes et des sujets qui lui sont propres. Enfin, nous avons discuté de la pertinence, et de l’enrichissement mutuel pour la philosophie et d’autres disciplines, des entreprises de coopérations interdisciplinaires, voire transdisciplinaires. Il me semble aussi que l’apport de la philosophie ne se réduit pas à sa seule contribution à la recherche académique. Sa participation aux débats publics peut fournir des outils de clarification, d’argumentation, de délibération et de prise de décision pour la résolution de problèmes sociaux demandant une attention particulière. Comme dit Hansson (2008, p. 482), la capacité de la philosophie à contribuer à l’élucidation de problèmes sociaux dépend, non pas seulement de la pertinence de ses méthodes et de ses potentialités disciplinaires, mais aussi, et peut-être surtout, de ses collaborations avec les autres savoirs.

    Bibliographie

    DUCASSE, C. J. (1941). Philosophy as a Science: Its Matter and Its Method. New York, Oskar Piest.

    GARDINER, Stephen M. et al., eds. (2010). Climate Ethics: Essentials Readings, New York, Oxford University Press.

    HANSSON, Sven Ove (2008). « Philosophy and other disciplines », Metaphilosophy, vol. 39, nº4-5, p. 472-483.

  • Philosopher à l’air libre, ou exercices de philosophie pratique

    — Dites-moi, ce blogue, c’est quoi?

    Une manière particulière de faire de la philosophie, en cherchant à l’appliquer aux questions qui animent notre société, dans un format simple et convivial, sans être simpliste ni racoleur.

    Notre idée est que la pratique de la philosophie ne saurait rester assignée à résidence dans les départements de philosophie, scindée de l’activité solitaire ou commune de réflexion aux enjeux qui animent la société. Philosopher à l’air libre, c’est vouloir être séduit par l’idée que la philosophie est chez elle partout où la pensée s’exprime de manière critique et argumentée. Et comme il arrive parfois de ne trouver de philosophie nulle part ailleurs que dans les bibliothèques et la tête de ceux qui s’y enfouissent, c’est aussi un défi lancé aux philosophes. Sans leçons ni pédanterie, voici donc des exercices de philosophie pratique.

    — C’est nouveau ce projet?

    L’idée n’est évidemment pas nouvelle, et il existe plusieurs autres blogues de la sorte. Hélas, la présence naturelle de la philosophie dans la société n’est pas une idée acquise. Il n’est peut être pas entièrement vain d’ajouter notre humble collaboration à cette vaste entreprise.

    Il reste d’actualité que la philosophie a un rôle social à jouer. Historiquement, la philosophie a trouvé son origine dans une société aux prises avec des questions brûlantes et complexes, dans une discussion riche entre les différentes pratiques intellectuelles (arts et lettres, politique, sciences pures… et appliquées, comme l’économie, la rhétorique, le droit et la médecine). Plus de deux mille ans plus tard, la spécialisation a fait que la pratique professionnelle de la « pensée sur la pensée » s’est développée de manière majoritaire dans les départements de philosophie et les études de doctorat (justement nommées PhD). Cette situation a des pours et des contres, et nous n’aurons pas la prétention de régler le débat avec esclandre. Mais il n’est pas vrai que la philosophie universitaire a oublié ses propres origines et qu’elle s’est divorcée du tourbillon des idées que génèrent les questionnements politiques, technologiques, éthiques, scientifiques de notre société. C’est en tous cas le devoir que nous assignons à ce blogue : faire l’exercice de montrer comment la boucle de la pensée a été bouclée et peut encore être bouclée, dans un aller retour fécond entre la pensée aux prises avec les enjeux de société et la réflexion soutenue.

    — Et votre philosophie pratique, qu’est-ce que c’est?

    Impossible de le dire dans cet avant-propos, mais disons que nous voyons la philosophie comme une sorte d’antichambre, ou de vase communiquant. Au moyen de la documentation et de la réflexion, il est possible de retracer la présence des questionnements philosophiques hors des murs de la pratique explicite de la philosophie. Il y a de la philosophie de manière plus ou moins explicite dans la culture, les autres sciences et les différents champs d’application de la connaissance en général. Il appartient aux philosophes de veiller à ce que ces liens soient entretenus.

    Les sciences et les différentes pratiques humaines communiquent ensemble sous l’angle des problèmes et des questionnements qu’elles soulèvent et des questions qu’elles apportent. Elles ne disent pas toujours la même chose, mais elles se posent souvent des questions similaires et qui ont parfois des origines communes. La philosophie peut être le lieu où mettre en commun ces questionnements et les réponses possibles.

    — Ce blogue, c’est qui?

    Le contexte est plus particulièrement le doctorat de philosophie pratique de l’Université de Sherbrooke. Conférenciers, étudiants et professeurs, tous les acteurs impliqués dans ce parcours en particulier ont en commun la tâche de réfléchir aux applications de la philosophie dans le monde contemporain. Loin de vouloir dénigrer la pratique scolaire et érudite de la philosophie, nous y voyons l’occasion de faire de la philosophie au sens où cette science a marqué l’histoire de l’humanité : la philosophie à l’air libre, c’est celle qui éclaire et interroge la manière dont nous pensons, au jour le jour mais de manière rigoureuse, sans exclure d’office aucune des activités humaines où la pensée s’exprime.

    Nous présenterons ici les résultats des discussions et des travaux dans le cadre du doctorat de philosophie pratique de l’Université de Sherbrooke. Nous invitons aussi tous les autres membres du département de philosophie et d’éthique appliquée à contribuer sur une base volontaire. Étudiants de tous niveaux, professeurs réguliers ou chargés de cours de l’UdeS, ces pages vous appartiennent pour montrer votre manière de philosopher à l’air libre.

    Et si je ne suis pas d’accord ou si j’ai des commentaires?

    Il va de soi que les contributeurs associés à ce blogue ont l’entière responsabilité des contenus qu’ils publient. Il y a de la place pour tout le monde dans la blogosphère, et nous vous encourageons à nous répondre, dans nos pages ou ailleurs (en nous citant, s’il-vous-plaît).